dimanche 10 février 2013

Brève LXXIV

Cela faisait six mois qu’il n’arrivait plus à s’endormir. Il passait une, deux heures ou plus, à tourner et se retourner dans son lit, à chercher désespérément le repos libérateur. Il avait essayé de lister les choses qui eussent pu le perturber : il n’avait pas un travail stressant, pas de problème particulier, une bonne santé, peut-être elle à la rigueur… Auparavant cela ne lui était jamais arrivé dans de telles proportions. Le pire, c’est qu’à cause de son incapacité à s’endormir, il était paniqué à l’idée de rater son réveil ; le corps est bien fait, il sait à peu près quand se réveiller, même si parfois il se décale et anticipe trop le lever. L’avantage d’être réveillé à six heures : il a plus de temps pour penser à elle.

mardi 5 février 2013

Brève LXXIII


J’ai craqué. Cela faisait longtemps que j’y pensais, c’était une idée qui me trottait dans la tête depuis la rentrée dernière. J’ai craqué. La saison, l’époque, la période actuelle s’y prêtait : c’était le moment des bonnes résolutions, des changements importants. J’ai craqué. Je savais que ce ne serait qu’éphémère, inutile sans doute dans quelques mois, voire totalement dépassé ou démodé ; au mieux je ne m’en servirais jamais. J’ai craqué. Car tout cela ne me ressemble pas, je ne l’avais presque jamais fait, seulement par nécessité, un peu comme tout le monde : parce qu’on en parle dans les journaux. Alors j’ai craqué ; alors j’ai épargné.

dimanche 27 janvier 2013

Brève LXXII

Nous avons ce droit, nous les écrivains, de triturer les mots pour arriver à nos fins. La connaissance parfaite de la langue, don inné parmi tant d’autres, nous propulsant sur un autre plan d’élévation que le vôtre, nous autorise à jouer avec les règles établies pour en créer des nouvelles. Combien d’expressions, de métaphores, de concepts ou de mots ont été inventés par nous. Vous créez un mot, cela sera un barbarisme, nous le faisons, cela sera un néologisme finalement imposé dans le dictionnaire de la génération suivante. Je vais, moi aussi, imposer un mot, mais un mot péjoratif, humiliant pour ceux à qui il s’adresse, les rejetant dans la honte de leur situation grotesque et ridicule. Je tâcherai donc à l’avenir d’éviter tout débordement coupleux.

lundi 21 janvier 2013

Brève LXXI

Certains esprits tordus pensent que tous ces délires soi-disant littéraires sont les reflets réels de mes volontés, de mes envies, voire, pire, de mes sentiments. Vous n’avez pas idée à quel point vous avez faux. Je ne me lasse pas de vous voir vous triturer l’esprit à essayer de décortiquer ces salmigondis couchés sur du papier. Je ris à chaque fois que vous m’annoncez péremptoirement que vous trouvâtes l’essence même de ces textes, qu’il ne s’agit que d’une quête désespérée de l’Amour ; le Seul, l’Unique, le Vrai et que je Le cache derrière une foule de visage invisible. Mais regardez la réalité en face, plutôt qu’un amour, je préfère des amours : c’est féminin.

mardi 15 janvier 2013

Brève LXX

En vieillissant, j’essaye de trouver les piliers immobiles de ma vie, ceux qui me permettent de me tenir droit et d’affirmer ma devise : Firmus et Ferox. Non, ma devise n’est pas : « l’élégance, toujours ; la finesse, parfois », je réserve cette dernière aux femmes que j’ai choquées verbalement. J’avais, vous vous en rappelez sans doute, identifié un de ces piliers, que j’appelai « constance incommensurable », même si ce terme choqua ; c’est toujours comme cela avec les révolutions philosophiques. Il semblerait qu’il en existât une deuxième dans ma vie : elles préfèrent la déception probable d’un passé répété à un bonheur possible d’un futur prometteur.

vendredi 11 janvier 2013

Brève LXIX

Le froid me saisit violemment lorsque je sortis. Parti à la hâte, je n’avais pas pris le temps de fermer mon manteau ni de mettre mon écharpe. Avec le temps, j’aurais dû avoir l’habitude et être prévoyant mais l’instant déclencheur du départ étant imprévisible, je suis presque toujours pris au dépourvu. Impatient de gagner mon lit, je traversai rapidement Paris. J’aurais pu rester et coucher là bas. Cependant, la première fois que je dors avec quelqu’un, je n’arrive jamais à m’endormir et je passe une nuit blanche : c’est pour cela que je pars toujours après qu’elle se soit assoupie.

samedi 5 janvier 2013

Brève LXVIII

Parmi les choses qui nous différenciaient le plus, il y avait notre différence d’âge. On en plaisantait souvent, moi accentuant ma vieillesse de corps et d’esprit, elle amplifiant la perversité d’être avec une femme beaucoup plus jeune. Je lui dis un jour que si la mort arrivait demain, j’aurais toujours l’avantage d’avoir vécu quatre années de plus. Elle me répondit que la quantité ne faisait pas tout, et que cela dépendait aussi de la façon dont on occupa son temps de vie. Alors elle me demanda :
« - Qu’as-tu donc fait de ces années ?
- Rien, je n’ai fait que t’attendre. »